vendredi 12 novembre 2010

11 novembre 2010


De nos jours, le onze novembre est sans doute perçu d'abord comme une de ces dates fériées qui permettent à l'occasion de faire le pont, même si l'on sait que les journaux télévisés montreront des commémorations officielles. Dans les villes et les villages, c'est l'occasion d'un dépôt de gerbes par les autorités, un de ces moments où uniformes et écharpes tricolores se pressent autour des monuments aux morts, où la Marseillaise retentit, où l'on voit les anciens combattants se regrouper. Il y a bien longtemps que ceux de Quatorze-Dix-Huit n'en sont plus et que la génération de la Seconde Guerre mondiale a commencé à s'éteindre.


 Il y a de ça en effet, avec ce côté officiel, protocolaire, mais aussi souvent la rencontre des mêmes, d'une cérémonie à l'autre, quelles que soient les différences d'approche de la société d'aujourd'hui, qui conduit ensemble à vouloir sinon ce souvenir — car les souvenirs des poilus se sont éteints avec eux —, du moins à évoquer ce grand massacre de la première «guerre industrielle» et à lui chercher encore un sens, au-delà de l'hommage légitime rendu aux combattants tombés au champ d'honneur, parmi lesquels il faudra bien compter, en les réhabilitant officiellement, les fusillés pour l'exemple et autres mutins de 1917 compte tenu des circonstances.


Chaque commune a ses traditions. À Sarcelles, l'usage conduit à un premier dépôt de gerbes à l'hôtel de ville, suivi d'un parcours vers le vieux cimetière et enfin de la cérémonie majeure au monument aux morts. Mais cette année fut année d'innovation.


On a vu les uniformes pendant la cérémonie, mais ce n'était pas qu'une reconstitution en costume comme cela arrive parfois. Non, c'est la compagnie «le voile déchiré» qui a présenté ensuite salle Berrier une courte chorégraphie mettant en scène — et surtout à l'honneur — ces tirailleurs dits sénégalais sans lesquels n'aurait pu exister cette force noire qu'estimait nécessaire le général Mangin





Ces pas de hip-hop, non pas gratuits mais construits, exprimant avec l'art urbain d'aujourd'hui ce que furent l'engagement et les souffrances de ceux qui ont contribué, parfois plus que d'autres, à construire une identité nationale qu'on refuse à leurs descendants — ces pas, donc, précédèrent la démonstration de la même compagnie à l'Arc-de-triomphe (voir la vidéo de France 3), près de la flamme qui célèbre le soldat inconnu

On pourrait à ce moment précise évoquer bien d'autres choses, puisque nous parlions du (non-)sens du grand massacre,. On pourrait citer ce remarquable écrivain, humaniste et ami de Jaurès, que fut Anatole France (On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriel. La guerre est faite par des gens qui se tuent et ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent et ne se tuent pas). 

On aurait pu évoquer aussi, plus largement, non pas la lâcheté mais la peur dont en 1930 Gabriel Chevallier — paradoxalement plus connu pour être l'auteur de Clochemerle — fit un récit assez largement autobiographique et qui rend compte du sentiment des fantassins. On aurait pu parler aussi de cette poignée de mains historique entre François Mitterrand et Helmut Kohl, le 22 septembre 1984 à l'ossuaire de Douaumont.

Qu'il nous soit permis de terminer avec ce sourire d'une des membres du Voile déchiré qui, malgré le froid et la pluie battante du jour, malgré la montée des intolérances,  des exclusions et du faux-recours aux enfermements communautaires, nous incite, sans renier le passé ni minorer ses imperfections, à construire ensemble cette République dont l'histoire est faite en partie de la boue et le sang des tranchées.