mercredi 15 avril 2009

Cadrer l'imagination

Imaginez deux photos prises vers minuit trente, deux photos de rue très banales, à une heure où la circulation, pour être rare, n'en est pas moins existante. Deux photos prises à peu près du même point, vers l'avant et vers l'arrière, un plan en hauteur, un plan en largeur...

L'ordre des prises était celui-ci, à quelques minutes d'intervalle.

Imaginez maintenant que l'on ajoute un effet d'ombre ici, un effet de flou là, qu'on recadre tout ça... et comparez.


Tout est prêt pour un passage mystérieux qu'on verrait bien dans un film noir (noir et blanc, évidemment), peut-être au début, peut-être même en « pré-générique » pour donner plus d'impulsion (avec une explication qui suivrait ou un flash-back (non, ici retour en arrière ne me convainc pas.).

Inversons l'ordre des images (après tout, les plans de cinéma sont rarement tournés dans l'ordre)... et imaginons ce qu'on pourrait trouver dans un scénario au dialogue minimaliste : c'est le visuel de l'action qui prime pour accrocher le spectateur. Bruitages (moteurs et gomme qui accroche soudain), fond de musique de jazz...



Nuit. Fond brumeux. La voiture roule depuis Paris. Suit insert sur Gu en très gros plan scrutant brièvement mais intensément le rétroviseur. Il a repéré son suiveur mais n'en laisse pour l'instant rien paraître dans sa conduite.

Gu a tourné, vite, et accélère à fond. Il veut s'engager dans des ruelles avant de couper les phares pour échapper à ses poursuivants. Gros plan dans la voiture derrière sur Fardiano qui conduit et Blot, passager avant.


FARDIANO.
— Il nous a repérés, le salaud !

BLOT.
— Fonce ! fonce !
Ce n'est pas le moment de le perdre !
... Plus vite, nom de Dieu !

(Dernière réplique en plan de coupe sur reprise de la poursuite.)


Ul
time remarque. — L'image a toujours l'air vrai(e), mais derrière l'image, il y a toujours un œil qui choisit le cadre et un autre qui peut le retoucher. Dans le cas de la photo, il y a confusion des rôles, en fonction de la volonté du réalisateur, entre le travail de cadrage de l'opérateur et tout ce qui fait l'expertise du monteur.

Précisions. — Photos prises à Sarcelles avenue Auguste-Perret. Pour le reste, n'oubliez pas que Jean-Pierre Melville fut un exceptionnel réalisateur et que le Deuxième souffle est pour moi un chef-d'œuvre.